Monsieur Guillaume Bigourdan, (1851-1932) astronome réputé, spécialiste mondialement reconnu et primé pour son catalogue en cinq volumes des nébuleuses fut fait officier de la Légion d’Honneur et devint le président de l’académie des sciences et de l’Institut de France. Ce scientifique écrivit un traité sur le golf, montrant par là que les astronomes de haut niveau étaient capable de sa passionner pour autre chose que l’observation des étoiles et des planètes même si la balle de 46 grammes qui survole le gazon a quelque ressemblance avec une sphère céleste ou un météore !
Jusqu’au milieu du XXème siècle les scientifiques s’intéressaient à plusieurs domaines qu’ils soient ceux des sciences exactes ou non. Evidemment cette passion marginale, pour des connaissances non scientifiques, est actuellement difficile a gérer car l’hyper spécialisation est devenue contraignante et n’ouvre plus sur le monde des généralités à connotations universelles. Depuis un demi-siècle environ ces astreintes se sont fortement exaltées par osmose avec notre monde mercantile. Pour ces diverses raisons l’univers mental du scientifique s’est énormément focalisé et il lui est devenu difficile, voire impossible de bien saisir dans son essence la démarche marginale des scientifiques des siècles révolus telle celle d’Eugène Chevreul, de John Neper, ou encore d’Isaac Newton. En effet comment s’immiscer dans leurs passions pour l’alchimie, à notoriété dévalorisante, sans mettre en péril sa propre réputation ? Actuellement il est donc devenu pratiquement impossible de saisir là quintessence qui féconda, directement ou non, certaines découvertes fondamentales telle celle des logarithmes de Neper ou de la gravitation universelle de Newton. Ne pouvant exposer ici qu’un compendium, Je passe sous silence d’autres découvertes, fécondées par des connaissances non scientifiques, telle celle de la molécule cyclique de carbone (noyau de benzène) par Kekulé von Stradonitz (1829-1896), ce chimiste allemand ayant découvert la tétravalence du carbone permettant la structure des molécules cycliques avec leur nuage électronique favorisant la bioélectricité de concert avec les potentiels d’actions des cellules nerveuses. Ces deux inventions capitales devaient révolutionner la chimie organique et ouvrir les portes de la biochimie et de la physiologie métabolique conduisant à la compréhension de la molécule d’ADN. Kekulé rapporte que l’idée fondamentale lui est venue du serpent qui se mord la queue que les alchimistes appellent ouroboros et que l’on trouve représenté dans le traité d’alchimie[1] de la reine d’Egypte Cléopâtre VII Théa Philopator (- 69 à – 30).
Souvent, au cours de l’histoire de l’alchimie on rencontre une pratique de l’analogie qui s’exprime essentiellement dans la sonorité des mots ou phonétique, mais aussi dans celle des formes qui se soit celle des gravures ou celle des décorations architecturales. Parfois phonétique et formes se mélangent associées même à des anagrammes. Ainsi le rat sera l’art et le chat (kat en provençal qui a conservé le son dur) le potassium. Si un chat attrape un rat cela signifie qu’une substance potassique maitrise l’art c’est-à-dire la pratique alchimique qui est appelée art.
Faut-il souligner ici qu’un scientifique n’a pas à méjuger la démarche des chercheurs car nul n’a à rendre compte, devant une instance académique, de l’origine de ses idées. Disons au passage que parfois le substrat de certaines découvertes essentielles, reposant sur des faits répréhensibles pour la pensée rationaliste fut attribué au hasard par les auteurs eux même craignant le discrédit. De ce fait un pan entier de l’histoire des sciences reste hélas inaccessible, ce qui ne manque pas d’être regrettable en faisant obstacle à une nouvelle vision du monde qui ne saurait que féconder l’esprit des chercheurs.
Le chimiste plus que centenaire Eugène Chevreul (1783-1886) a la palme de la discrétion car rien ne transparait de ses connaissances alchimiques, avant son décès, si ce n’est à travers ses travaux sur les couleurs dont Eugène Delacroix et les Impressionnistes s’inspirèrent. A sa mort on découvrit chez lui de nombreux livres des grands alchimistes des siècles révolus. C’est le grand érudit Alfred Maury (1817-1892) qui fait référence, dans Le journal des sçavants (sic), aux travaux de philosophie alchimique de Chevreul. C’est ainsi que l’on apprit que ces études, ont occupé une place capitale dans sa vie comme le traduit sa riche bibliothèque contenant un nombre considérable de traités d'alchimie, soit sous forme de livres, soit sous forme de manuscrits que l’on peut actuellement compulser dans le fond Chevreul du muséum d’histoire Naturelle. La partie qui émerge de cet iceberg se trouve dans un Mémoire de l'Académie des sciences, rédigé sur plus de 300 pages, où il brosse un portrait historique et philosophique de l'histoire de la matière, et établit à cette occasion un remarquable niveau de liaison entre chimie et alchimie. Niveau de liaison qui échappe aux chimistes actuel tel Pierre Laszlo[2] (Qu’est-ce que l’alchimie ? Editions Hachette Paris 1996) désireux d’expliquer l’alchimie par la chimie, car en réalité l’alchimie n’est pas à proprement parler une science de la matière mais une « science » de la vie. Eclipsé par le phénomène de transmutation métallique dont les causes restent pour la science une énigme, la méprise est donc compréhensible dans la mesure où la science actuelle ne saurait se référer qu’à ses propres concepts fondamentalement différents de ceux préconisés par les adeptes de l’Art Royal (alchimie).
Disons en passant que la différence de pensée entre la science et l’alchimie qui partage pourtant là même nécessité de logique, de rigueur et de cohérence ne sont pas opposées. C’est une opinion trop répandu pour ne pas signaler ici cette méprise trop souvent colportée et acceptée comme référence à la vérité. Il est plus juste de parler de complémentarité qui n’a pas encore trouvé le chemin de sa jonction. Dans ce sens, et uniquement dans ce sens, l’œuvre d’un Pierre Laszlo est des plus essentielles même si elle ne saurait représenter une référence épistémologique qui est pourtant utilisée comme telle par les lettrés de la Sorbonne (voir les ouvrages sur l’alchimie médiévale de Suzanne Thiolier-Méjean, notamment L’alchimie médiévale en pays d’Oc édité en 1999 aux presses de l’Université de Paris-Sorbonne) ce qui ne manque pas de donner une image quelque peu fallacieuse de l’alchimie.
Loin de là, dans le passé, le seigneur écossais John Napier, - baron de Merchiston - se rendit, le 7 novembre 1607 chez le docteur en médecine Daniel Muller. Cet alchimiste lui fit part de ses recherches en alchimie car Napier lui affirma s’intéresser à son travail et écrit qu’il « espère avoir l’occasion d’entreprendre l’œuvre ». Et curieusement il garde le silence sur la suite des évènements. (J. H. Read The alchimist il life, literature and art, Londre 1947)
Il ne saurait être question dans cet aperçu de montrer la voie du cinabre adopté par Napier et fort bien expliquée par le Dr Muller. Cette notion de « voie » alchimique est fréquemment usitée. Généralement il est question de voie humide et de voie sèche. La voie de Napier est une voie humide car elle utilise l’élément « moteur » ou « catalyseur » appelé « sel » à l’état liquide, alors que la voie sèche l’utilise sous forme solide cristallisée, mais la voie sèche reste pour la majorité d’adeptes celle du creuset et donc de la fusion métallique. Quoi qu’il en soit de ces aiguillages complexe de « voies » il est fondamental de préciser que pour tous procédés le principe reste le même. Une étape est commune à toutes les voies, c’est celle de la « multiplication » consacrant ainsi leur unité à travers ce dénominateur commun.
La multiplication consiste, comme son nom l’indique, à multiplier la concentration énergétique de la substance, de couleur rouge, que les alchimistes appellent « pierre ». Les étapes successives consistent à réitérer tout le grand œuvre à plusieurs reprises et à chacune de ses reprises la puissance s’accroit d’un facteur 10.
Ainsi Napier (Néper), outre les logarithmes népériens inventa en collaboration avec Henry Briggs (1561-1630), un nouveau logarithme appelé logarithme décimal ou briggsien. Il montra que le logarithme décimal de 1 est 0. Ce qui correspond sur le plan alchimique (au laboratoire) à une première réalisation du grand œuvre dont la pierre finale est dépourvue de puissance (0) et donc incapable d’avoir une action « transmutatoire » sur la matière qu’elle soit minérale ou biologique. La première réitération ou première répétition (1) va augmenter la puissance de 10 (log10=1). A la deuxième réitération (2) la puissance passe à 100 (log100=2), puis à la troisième à 1000 (log1000 = 3). Evidemment il convient de ne pas trop spéculer sur cette progression de 10 car il s’agit là de valeurs théoriques qui peuvent fluctuer en fonction de la pureté des matériaux et de leurs proportions. Cependant cette curieuse concordance tend à montrer ce fait assez inattendu : Les logarithmes décimaux sont en étroites accointances avec les lois de la nature alors qu’ils ne sont, pour les scientifiques, qu’une manière de simplifier les calculs.
Dans son silence à propos des travaux que lui a conté le Dr Muller, il est fort probable que Néper ai pratiqué l’alchimie et qu’il fut inspiré par le processus de multiplication.
Cette inspiration, sur le plan scientifique, provoquée par la réalisation du travail alchimique, se trouve d’une manière remarquable dans l’œuvre d’Isaac Newton dont le travail alchimique était le plus orthodoxe qui soit. Nous retrouvons son procédé en France, et dans le monde entier, dans toute la littérature alchimique. Donc Newton fut à la foi un scientifique et un alchimiste digne de ce nom. Remarquons au passage que le grand physicien n’essaya jamais d’expliquer l’alchimie par la chimie comme tentait de le faire le cercle de Hartlib avec lequel il entretenait de nombreuses relations. Cela montre que Newton avait compris la dimension non matérialiste de l’alchimie, dimension dont il avait saisi qu’elle ne concernait pas uniquement les transmutations, loin de là, et resterait toujours inaccessibles aux sciences de la matière.
Les travaux du grand scientifique sont tellement vastes qu’il est difficile de dégager avec précision l’étendue de la fécondation du physicien par l’alchimiste. Il poursuivit des études alchimiques, très intensives, pendant au moins trente ans. Durant plus de 25 ans, il eut donc l’occasion de tenter 50 fois environ la réalisation de l’œuvre. Ce fait explique l’abondance de notes et de documents alchimiques rédigés par le physicien. Il conservera le secret sur ses activités et sur celui de mystérieux contacts, desquels il reçoit de très nombreux ouvrages et traités alchimiques, qu'il annote et recopie jusqu'à se constituer une des plus vastes bibliothèques alchimiques de son époque
Je n’ai pas l’intention de retracer ici l’œuvre de Newton, d’autre l’on fait avec compétence et sérieux notamment le professeur Bettt J. Teeter Dobbs[3]. Je m’arrêterais cependant sur un point qui me semble crucial vis-à-vis de l’attraction universelle. Les alchimistes qu’étudiait Newton, dont on peut citer Sendivogius, d’Espagnet et Philalète, parlaient tous d’ « aimant », d’attraction.
Tout en alchimie étant relié à la création, à l‘univers, il est aisément compréhensible que le résultat scientifique en fut la formulation de l‘attraction universelle. Mais sur le plan expérimental, au laboratoire, Newton était intrigué par les lignes de forces convergentes vers un centre pour former une étoile à la surface du creuset[4], manifestation du sommet rayonnant d’un « cage » (comparable à une cage de Faraday) émergeant du métal en fusion et emprisonnant l’énergie captée, l’empêchant ainsi de s’évader hors du champ de la pesanteur terrestre. Lorsque le métal était refroidi si se manifestait l’étoile alors l’expérience était réussie, si l’étoile ne se manifestait, alors « l’oiseau » s’était échappe hors du champ de l’attraction terrestre. Pour Newton il s’agissait d’une preuve expérimentale de la gravitation. Il en donne la confirmation puisque sa recherche n’avait un autre but que de découvrir ces « forces par lesquelles les particules des corps » sont « mutuellement poussées l’une vers l’autre, soit repoussées et qu’elles s’écartent l’une de l’autre ». Cependant il est naturel qu’Isaac Newton ait élaboré l’outil mathématique pour fixer ses intuitions géniales.
Et la chute de la pomme qui lui aurait donnée l’idée de la gravitation est en fait un astucieux symbole qui sous entend la chute d’Adam liée à la pomme désignant par là la Genèse dont l’alchimie s’inspire, dans sa compréhension symbolique, pour réaliser l’œuvre intimement liée à « l’arbre de la connaissance » de l’Eden dont on peut cueillir les fruits sublimes après avoir atteint la sagesse. Sur le plan théologique cela s’inscrit dans le cadre de la réintégration de l’être, ce qui permet de saisir la raison profonde de l’intérêt, pour la théologie, du plus grand physicien de l’histoire.
Beaucoup de scientifiques demeureront profondément surpris face à la méthode d’investigation de Newton, dont on peut tirer de ses écrits le postula de base :
« Les vérités réelles s’incarnent dans les mythes, les fables et les prophéties. »
Et les alchimistes scientifiques de haut niveau on su utiliser ce postula ainsi en est il d’Antoine d’Abbadie d’Arrast (1810 – 1897) qui fut, au XIXème siècle, président de l’académie des sciences où sur les murs de son château[5] d’Hendaye (construit entre 1854 et 1879) s‘ébattent, en façades, des animaux : chien, chat, crocodiles, singe, serpent… qui ne sont autre que la manifestation de la vie dans toute son exubérance qu’étudie l’alchimie et que font vivre les mythes et les symboles appuyés par la loi d’analogie.
Au centre de cette imposante bâtisse qui domine l’océan, se dresse une lunette astronomique qui observe autant le ciel physique que suprasensible et même spirituel comme le laisse entendre la chapelle. L’intérieur de l’édifice est également à la gloire de l’art d’Hermès dont chaque chambre représente une particularité. Le château d’Hendaye est l’une des plus magnifique demeure hermétique dont l’académie des sciences a su prendre soin pour le plus grand bénéfice des chercheurs et des curieux de tous horizons.
[1]La chrysopée de Cléopâtre est un texte alchimique illustrée avec ce serpent qui se mord la queue. Il est attribué à Cléopâtre VII, souveraine très cultivée et polyglotte.
[2] Une telle recherche de la conception chimique de l’alchimie a souvent séduit des érudits rationalistes dont la plus ancienne tentative (XVIIème siècle) est celle du cercle anglais de Hartlib.
[3]Les Fondements de l’alchimie de Newton. Editions Guy Trédaniel Paris 1981. Le professeur Dobbs analysa la phénoménologie alchimique avec beaucoup de sagacité et de précision comme a sut le faire, avant elle, Mircea Eliade.
[4]Pour la préparation du régulé étoilé (voie sèche au creuset) par Newton, voir University Labrary, Cambridje, Collection Portsmouth MS Add. 3975, F.42 r, v (pagination de Newton, p. 81-82).
[5]Le château d’Abbadie est classé comme monument historique depuis le 21 décembre 1984.