Il existe, depuis le Moyen Age jusqu’au XVIIIe siècle, un nombre très important d’œuvres d’art, aussi bien des peintures des sculptures ou des agencements de demeures (y compris les dernières demeures) qui furent réalisées par et pour des alchimistes. L’historien belge Jacques Van Lennep a pu leur consacrer, en 1966, tout un gros ouvrage abondamment illustré : Art et alchimie (Bruxelles, Éditions Meddens) ceci étant dit pour ceux qui désirent se documenter sérieusement sur la dimension artistique de l’art d’Hermès. J’ajouterais à cet ouvrage fondamental cet article intitulé L’Art alchimique et le surréel, réalisant une superbe jonction avec le surréalisme et plus particulièrement André Breton qui écrivait en 1953 :
« Le tout pour le surréalisme a été de convaincre qu’on avait mis la main sur la matière première – au sens alchimique – du langage. »
Mais la mort l’a surpris dans la recherche de cet essentiel qui ne prêté qu’à la sagesse : L’or du temps.
Mais nous allons voir que cet énigmatique or du temps ne nous éloigne pas des tapisseries de la Dame à la Licorne… Poursuivons donc notre exégèse un peu brouillonne de cette magnifique œuvre d’art, dont les différents tableaux décrivent en toile de fond un lieu particulier qui n’est autre qu’un jardin dans lequel on peut distinguer des fleurs, des arbres et des fruits. En latin le jardin est l’hortus qui exprime encore mieux sa dimension cabalistique en occitan par le terme plus bref de ort, qu’une seule lettre sépare de l’or, et qui désigne autant le jardin potager que celui d’agrément.
Ainsi, l’alchimiste allemand Michel Mayer déclare dans sa VIe Emblème de son Atalante Fugitive :
« Le froment saura t’enseigner comment l’or germe. »
Le travail de la terre est souvent comparé aux travaux du Grand Œuvre. Ainsi l’adepte Cambriel (XIXe siècle) appelle les alchimistes des Labourants, par analogie avec les sillons tracés par la charrue qui font ressembler le champ à la terre feuillée de leur Grand Œuvre. Aspect que l’on retrouve, à une plus petite échelle et donc plus proche de l’OEuvre, dans les jardins potagers. Ainsi se manifeste aussi une analogie avec la pâte feuilleté de la galette des rois. Nul ne doit négliger le fait trop évident et pour cela souvent négligé que les jardins sont peuplés de végétaux feuillus, feuilles qui exaltent l’analogie au point de faciliter la confusion avec la langue verte.
Puisque j’ai donné mon opinion sur la tapisserie du toucher, remarquons que la licorne « désigne » avec sa queue-de-cheval (donc cabalistiquement) un chêne. Chêne qui va permettre la fabrication de la terre feuillée. Nous trouvons ce même arbre joliment signalé par les chaînes du vêtement de la Dame sous forme de ceinture et d’un grand pendentif qui agrémente l’avant de la robe.
L’importance de cet arbre tour comme celui de l’acacian est capitale au point de représenter l’une des plus difficiles énigmes à découvrir, qui demanda à Fulcanelli plus de vingt années d’effort soutenu.
« L’artiste a cheminé longtemps, nous dit Fulcanelli à la page 93 de son Mystère des Cathédrales, il a erré par les voies fausses et les chemins douteux ; mais sa joie éclate enfin ! le ruisseau d’eau vive coule à ses pieds ; il sourd, en bouillonnant, du vieux chêne creux. »
C’est ce même désir d’aiguiller le chercheur ver une voie sure qui fit dire brièvement à Nicolas Flamel dans son livre des figures hiéroglyphiques : « note ce chêne ».
Et Eugène Canseliet précise la raison de l’insistance sur le jardin :
« Tout au commencement de l’ouvrage hermétique, ainsi retrouvons-nous, avec l’élection judicieuse de la matière initiale, l’idée de son traitement laborieux, analogiquement envisagé dans son
étroit rapport avec la culture du sol. » (p. 88 in Deux logis alchimiques. 1979)
Mais le choix du jardin dans l’iconographie alchimique repose sur deux importantes analogies : Celle de l’importance du printemps et celle de la couleur verte. (voir mon article sur la couleur verte). La renaissance de la nature chaque année au printemps marque pour l’alchimiste le début de son travail qui doit se superposer aux cycles naturels. C’est pour cela que les alchimistes sont appelés singes de nature.
Je voudrais souligner ici la particularité de la chlorophylle qui permet une biosynthèse organique grâce à l’action des quanta lumineux permettant la transformation de l’énergie lumineuse en énergie chimique. En d’autres termes, la photosynthèse nous introduit dans le monde quantique dont on sait combien il est différent de celui que nous vivons chaque jour. Il se pourrait donc que l’alchimie lorsqu’elle ouvre les portes de son jardin nous projette dans un monde qu’il nous est difficile de concevoir. Nous n’en sommes pas là et restons-en au monde tout de même fabuleux de la Dame à la Licorne. La licorne… animal échappé d’un étrange jardin dont nous ignorons tout.