C’était un clair dimanche d’avril, saupoudré de cette lumière joyeuse qui accompagne la montée de la sève. En ces
instants de renouveau, le soleil méditerranéen souriait à tous les trilles d’oiseaux, à tous les nettoyages de printemps. Il souriait aussi, en ce lieu de « marginaux » et de
« chineurs », à toutes les explorations dans le bric-à-brac des « vides greniers » étalés sous le jeune toit d’ombre des platanes verdoyants.
Je flânais au marché aux puces de Montpellier à la recherche de quelques vieux bouquins échappés de l’autodafé
perpétrés par les bourreaux du Saint-Office ou par les puritains béni-oui-oui maniaques de l’index, dignes successeurs du féroce inquisiteur Torquemada.
Les hommes et les femmes, religieusement incorrects, et condamnables au bûcher ou à la potence, se rencontraient bien
souvent devant l’étal de livres d’ésotérisme tenu par Henry, homme de spectacle attachant, au verbe intarissable et haut en couleur. Artiste il l’était jusqu’au bout des ongles, réservant ses
tirades théâtrales au creux de l’oreille attentive de ses fidèles « clients spectateurs » dont j’ai l’insigne honneur de faire partie !
Les artistes dignes de ce nom ne sont jamais insensible aux mystères de l’univers et savent les chanter. Dans le cas
contraire, ils occupent la place de ceux qui croupissent dans la misère et dont le sort s’acharne, par manque de copinage, à leur faire exercer une profession qui n’est pas la leur. Henry était de ces blackboulés du sort, attachant au possible, qui, à défaut de s’adresser à un public pour le faire vibrer, lui offrait des livres capables de
lui garantir des jours meilleurs et à défaut de l’émouvoir, lui faisait découvrir certaines faces cachées de notre monde illusoire.
C’est là, chez ce joyeux et cultivé brasseur de mystère et d’étincelles que j’ai vu pour la première fois le
jeune d’Erlette, déjà habité par les idées qui furent à l’origine de cet essai où
il apparaît comme un apologiste éclairé de Lovecraft dit le « maître de Providense ».
Le nom D’Erlette n’est pas quelconque puisqu’il est celui d’August William Derleth qui était un écrivain, et éditeur américain, connu pour avoir été le continuateur et l'éditeur de
H. P. Lovecraft, qui le fera apparaître dans ses nouvelles sous le nom du Comte d'Erlette, gentilhomme français du
XVIIIe siècle.
Chez Henry, les rencontres furent, et sont encore si riches et inattendues que certains n’hésitent pas à les qualifier
de synchronicité, employant ainsi le terme consacré par le célèbre psychanalyste C. G. Jung vilipendé par Sigmund Freud et ses thuriféraires dont certains enseignaient à l’université Paul
Valérie de Montpellier. Montpellier, qui fut au XXe siècle un fief « moscovite » formateur de générations de Marxos-Freudiens-Lananiens devenus orphelins après l’effondrement du
sinistre mur de Berlin ! Oui, à cette époque rouge et quelque peu séditieuse, j’ai entendu un professeur de psychologie de l’université Paris VIII affirmer, à l’occasion d’une conférence au
centre Lacordaire, qu’il n’avait pas lu une seule ligne de l’exécrable C. G. Jung !
La synchronicité gêne car insaisissable par la pensée discursive, ce qui insurge les tenants d’un cartésianisme
totalitaire. Voici, pour mémoire, un petit exemple simple de ce curieux « synchronisme » :
Vous venez de Castelnaudary dans l’Aude où vous avez non seulement dégusté un délicieux cassoulet mais aussi visité un
magnifique moulin-à-vent qui fait la fierté de la ville. De retour chez vous à Montpellier, vous rencontrez votre ami Desmoulin qui vous donne un jeu de construction pour le lendemain qui est
l’anniversaire de votre filleul. En lisant la notice vous découvrez qu’il permet de construire un moulin et c’est alors que vous découvrez que la rencontre avec Desmoulin eut lieu dans la rue
Jean Moulin.
Dès les premières pages d’Erlette tente de situer cet étrange phénomène qui est la clé d’une dimension fondamentale de
la philosophie, de l’ésotérisme et même de la religion puisque la confusion avec le miracle est sciemment entretenue pour la plus grande gloire de Dieu. La bizarrerie de ces coïncidences semble
en opposition avec la loi de cause à effet qui caractérise notre conception habituelle de la cohérence
du monde.
Si la synchronicité peut se définir comme une rencontre fortuite (occurrence) au même moment (simultanée) de deux
événements liés par le sens et non par la cause. Il s’agit de deux, ou plusieurs, événements qui coïncident dans leur signification et que rien ne
semblent relier mais qui, associés, prennent un sens de répétition (redondance), souvent difficile à comprendre.
De multiples interrogations émanent de ce phénomène très particulier ou chacun de nous fut un jour
confronté.
Schopenhauer a vu juste quand il considéra que le secret du monde réside dans l'unité fondamentale des êtres. Je
pourrais ajouter dans l’unité fondamentale de l’univers. C’est d’ailleurs pour cette raison que les anciens et plus particulièrement les alchimistes définissaient l’univers comme l’unité renversée. Il ne s’agissait pas pour eux d’un simple jeu de mots. Les « faces » de l’univers peuvent s’inverse tout en
restant mathématiquement identiques, à la manière du ruban de Möbius… « Tout dans un et un dans tout » disaient-ils montrant cette dimension unitaire et holoscopique
à la base de toute matière et aussi de tout esprit.
Depuis 50 ans, la physique ayant progressé considérablement, elle est devenue apte à montrer qu’il existe des
relations entre les parties parfois très éloignées de l’univers. Cette particularité fut démontrée à plusieurs reprises. Les physiciens découvrirent qu’il existe d’inexplicables relations entre
les grains de lumière que sont les photons quand ils s’éloignent l’un de l’autre dans des directions opposées. Si on change la polarité de l’un à l’aide d’un filtre optique l’autre est averti
immédiatement de ce qui est arrivé à son compagnon et subit instantanément les mêmes changements. On peut donc dire que des photons éloignés de plusieurs millions de kilomètres font partie d’un
même ensemble, ils sont un tout. Il existe donc entre eux un contact permanent. C’est ce qui fut appelé « inséparabilité de l’expérience quantique ».
Cette expérience montre que la séparation des choses n’est pas réelle. À la suite du big-bang initial qui marqua la
naissance de l’univers, les étoiles, les galaxies et les supergalaxies furent projetées en tous sens (et le sont encore) dans l’espace cosmique, mais ne furent pas réellement séparées et
communiquent en permanence. La fameuse expérience de Foucault montre en outre que toute vibration est assujettie à des forces non terrestres. Cette
expérience fut réalisée à Paris en 1851 et reproduite ensuite la même année à Reims, New York, Rome, Bristol, Dublin, Londres, Ceylan et Rio de
janeiro.
Foucault laissa pendre un long câble attaché au sommet de la coupole du Panthéon et accrocha à son extrémité une
grosse boule métallique terminée par une pointe. Il lança le balancier et la pointe écrêtait à chacun de ses passages un tas de sable circulaire placé autour de l’axe de ce grand pendule. Après
un peu plus de 24 heures, il oscillait toujours sur le même plan, – c’est-à-dire en conservant la même direction dans ses balancements – et avait écrêté la totalité
du cercle de sable, ce qui prouvait la rotation de la terre sur elle-même.
En 1885, lors de l'Exposition universelle de Paris, on demanda à Foucault d’installer dans le
palais de l'industrie un pendule assisté électromagnétiquement. C'est lui qui oscille de nos jours dans l’abbaye désaffectée de Saint-Martin-des-Champs, et fascine les visiteurs du Musée des arts
et métiers. Parmi ces visiteurs, un certain professeur Umberto Ecco qui écrivit en 1988 un livre à son propos en ayant compris le sens capital de cette expérience de physique qui donne une valeur
universelle, comprise par très peu de lecteurs, à l’énigme templière et alchimique ainsi qu’à certains de ses ouvrages si bien porté à l’écran tel Au nom
de la Rose (1980)... qu’il faut lire Au nom de la rosée et Au nom d’éros, car l’alchimie templière
est appelé art d’amour et a besoins, au laboratoire, de l’énergie contenue dans la rosée.
La valeur de cette expérience est immense sur le plan scientifique et celui de la synchronicité,
témoin de l’inséparabilité, car non seulement elle montre la rotation de la terre sur elle-même, mais surtout que tout ce qui vibre et bouge dans
l’univers est sous la dépendance d’un centre bien concret qui orchestre tout mouvements.
Dans l’expérience de Foucault, il s’avère que la seconde interrogation est : pourquoi le plan
d’oscillation du pendule reste fixe ? Par rapport à quoi est-il fixe ? C’est cela qui fascine Umberto Ecco, cherchant à « débusquer le sens là où on serait porté à ne voir que les
faits ! ».
La question devait être posée puisque tout, absolument tout est en mouvement ou en oscillation
comme le montrent les champs électromagnétiques qui parcourent notre globe et l’entourent ainsi que nos électrocardiogrammes et aussi nos électroencéphalogrammes traduisant notre activité
cérébrale.
Le pendule de Foucault reste indifférent aux masses considérables que sont le soleil et les
galaxies les plus proches, Le plan d’oscillation du balancier tout comme l’ensemble de ce qui vibre, s’oriente vers des objets célestes situés à des distances considérables de la terre puisqu’ils
se trouvent aux confins de l’univers !
Donc, l’apparent désordre du mouvement dit brownien, que manifeste, dans un liquide, des particules
de matière aux dimensions inférieures à quelques microns, l’ordonnance dans l’espace biologique des substances élaborées par les étapes successives de tout métabolisme ou catabolisme, tout cela
dépend d’un centre dont nous ignorons le lieu exact et la nature. N’en doutons pas, lorsque notre cœur bat, lorsque notre cerveau est actif ou en sommeil,
tout cela est sous la dépendance de certains « objets célestes » situés à des distances astronomiques !
Quelque part l’homme vit dans des conditions carcérales fort bien traduites par le film Matrix… À partir de là, il est aisé de comprendre pourquoi certains orientaux parlent d’une démarche mystique appelée Libération. C’est un processus que l’on trouve sous diverses formes dans toutes les voies spirituelles. Cela implique donc que ce qui est appelé libération a
une connotation non humain car hors d’atteinte de toute volonté et action humaine habituelle, puisque la condition de l’homme est le résultat d’une
interférence entre nos désirs et un pôle qui nous est étranger dont la synchronicité et le rêve sont des manifestations qui, de ce fait, dépasse notre entendement. Nous sommes là au cœur des
thèmes développés par l’américain Howard Philips Lovecraft de Providence (Nouvelle-Angleterre) dans son œuvre fantastique. Nous sommes là, également, au cœur de la démarche alchimique qui entre
dans le cadre du réalisme fantastique à la manière de certains aspects de l’ésotérisme
et de la science-fiction.
Peut-on déceler dans l’œuvre de H. P. Lovecraft une démarche alchimique ? La lecture de cette
cosmogonie fabuleuse qu’est le Mythe de Cthulu est édifiante quand l’attention s’arrête sur le nom de ce démon (Grand Ancien) appelé Azathoth. Il
dissimule à peine le mot Azoth qui n’est autre que le nom de l’épée de Paracelse ! Et l’Azoth des
alchimistes, tout comme celui du « maître de Providence », est le seigneur de toute chose et du Chaos informe qui a très réellement son trône dans les ténèbres puisqu’il est à l’origine
de l’Œuvre au Noir des alchimistes…
L'essai remarquable et novateur d’Erlette ouvre donc des horizons à une nouvelle découverte du
« rêveur américain » de Providence qui ne manque pas de soulever diverses interrogations philosophiques et psychologiques. Par ailleurs, il fera le délice des amateurs éclairés de
fantastique et de science-Fiction.