VAN VOGT Alfred Elton (1912 – 2000)
Il peut paraître étrange qu’un auteur de science-fiction figure dans un article consacré à l’alchimie.
Mais, à la lecture de cet auteur, un historien de l’hermétisme découvre rapidement sa connivence avec l’alchimie. Il est indéniable que la science-fiction américaine et mondiale est redevable au Canadien Van Vogt de beaucoup plus de reconnaissance qu’elle le suppose. En transmettant un double message : celui du bon romancier et celui subliminal, substrat des connaissances de l’univers. Cela, seul notre encéphale cérébral droit peut le saisir d’une manière informelle mais tout de même réelle. Il est incontestable que c’est un bon auteur qui fit, durant les années 50 et 60, les plus beaux jours de l’âge d’or de la science-fiction, mais il est beaucoup plus que cela dira l’alchimiste qui se réjouit qu’un écrivain ait pu côtoyer d’aussi pré la réalité, dans lequel il évolue. Sachant que cette réalité est difficilement formulable par des mots, puisque le cerveau droit est généralement incapable d’exprimer ses trésors de connaissances par la parole ou l’écrit.
Considérée dans l’absolu, hors de tout style et de toute époque, l’œuvre de A.E. Van Vogt est comparable à celle des contes de Charles Perrault (1628-1703) dont la dimension alchimique est incontestable pour la totalité des exégètes avertis.
Il est fort probable que cet auteur doit la richesse de ses idées aux connaissances de l’un des habitants de la ville de Los Angele, où il s’installe en 1944. Il est normal qu’il ait rencontré un adepte en Californie car ce pays possède un climat propice à la pratique de l’Art Royal, si proche de celui des côtes méditerranéennes qui vit naître l’alchimie pour la raison essentielle qu’il en favorise la pratique. Cette métropole, carrefour de toutes sortes de religions, de sciences et autres cultes, fera connaître à Van Vogt certains concepts essentiels de l’alchimie interne* si bien formulés par la théorie d’Alfred Korzybsky sur la pensée non-aristotéliciennes et la sémantique générale. A.E. Van Vogt la plaça au cœur du cycle du non-A qui eut un immense succès, de même il situa les données hermétiques issues de l’expérience au laboratoire dans le cycle de Linn. Par ailleurs l’intrigue de l’ouvrage La faune de l’espace, écrit en 1952, plonge au cœur du laboratoire alchimique. Ce seul ouvrage suffirait amplement à désigner l’auteur comme un romancier très informé sur l’alchimie. Nous conseillons dont à tous les fils de sciences et à ceux qui aiment lire de ne pas ignorer cet auteur, même s’il est considéré de nos jours par certains comme un peu « rétro ». L’alchimie, que les adeptes dégusteront, a rendu son œuvre intemporelle à l’image des contes de Perrault dont nous venons de parler. Il a certainement été sagement et discrètement conseillé, et ce qui lui fut révélé sous le soleil californien était difficile à exprimer. Il y est parvenu brillement, c’est pour cela qu’il se disait technicien de l’écriture, et c’est la raison pour laquelle nous lui en somme profondément reconnaissant.
Clane est le héro des deux ouvrages, L’empire de l’atome (1956) et Le sorcier de Linn (1962). Issu d’une famille princière mais homme au physique ingrat, car atteint à sa naissance par des radiations radioactives mutagènes. Cependant son intelligence est des plus incisives et lui permet de déjouer les complots les plus machiavéliques visant à l’éliminer des prétendants à la couronne. Il est vrai que le milieu patricien dont il fait partie est gangrené par des mœurs proches de celle de l’empire romain ou l’assassinat est une pratique courante.
Mais ce qui caractérise cet homme au physique « inexistant » c’est l’extraordinaire dimension de sa compassion, en totale opposition au milieu dans lequel il évolue. Il était de pratique courante que le chef ennemi vaincu soit empalé et meure dans d’atroces souffrances. Lui l’épargnera et finira même par en faire un ami. C’est là une des valeurs fondamentales de l’alchimie interne. Et l’ouvrage montre combien la philosophie alchimique caractérisée par la la patience, la bonté, l’authenticité, la compassion et la bienveillance s’opposent au monde « ordinaire » dans lequel il évolue et hélas nous aussi nous évoluons de nos jours.
L’ennemi qu’il épargne est le chef des « barbare » qui s’appelle Czinczar, nom qui invite à supprimer, comme l’aurait fait dans son petit langage un certain Jonathan Swift, les redondances des lettres C et Z, le réduisant ainsi à « in ar », ce qui signifie dans l’art. Or l’alchimie s’appelle l’Art magna ou grand Art (d’où le nom d’artistes donné aux alchimistes) ce que représente bien ce grand colosse avec lequel Clane négocie tout au long des deux livres.
Czinczar est un double personnage, il représente à la foi son conseiller « es alchimie » oeuvrant sous le soleil californien et l’opposé de Clane dont le raisonnement rationnel est limité par le fait même que cette manière de penser repose uniquement sur l’encéphale cérébral gauche, siège de 10% seulement de nos capacités intellectuelles. En d’autres termes nous sommes tous des Czinczar, bien sympathique mais limités. A nous de savoir sortir de ce labyrinthe qui résonne si nous souhaitons devenir très réellement des homos sapiens et savoir enfin ce que signifie l’univers.
Mais l’essentiel des romans repose sur une étrange sphère qui permet au héro de dominer les ennemis de la Terre. Nous citons ici le passage le plus significatif que l’on peut lire au dernier chapitre (chapitre 24) p.302-304 de L’empire de l’atome :
« De quoi est faite cette boule, par tous vos dieux ?
— Elle contient l’univers sidéral tout entier.
— Un univers… quoi ? demanda-t-il enfin.
— Lorsque vous l’examinerez à travers un tube, expliqua Clane patiemment, vous apercevrez des étoiles. C’est comme une fenêtre ouverte sur l’espace – à ceci près que ce n’est pas une fenêtre. Mais l’univers lui-même.
Le chef barbare montra un visage stupéfait.
— L’univers où nous vivons ? demanda-t-il.
Clane hocha la tête sans faire de commentaires. Il ne lui avait pas été facile d’appréhender un concept aussi vaste, même avec l’aide des explications qu’il avait découvertes.
— Czinczar secoua la tête.
— Vous voulez dire que la Terre se trouve là-dedans ?
Il montrait la sphère lumineuse.
— C’est un concept quadridimensionnel, dit Clane, toujours patient.
Il voyait que l’homme avait du mal à le suivre. Ce n’était pas le moment de pousser davantage l’explication.
Le barbare posa sur lui un regard scrutateur :
— Comment peut-on introduire un objet de grande taille dans un autre plus petit ?
Le ton de sa voix indiquait qu’il demandait une explication logique.
Clane haussa les épaules.
— Lorsque les dimensions des objets ne sont plus qu’un point illusoire, le problème cesse d’exister.
Czinczar fronça les sourcils et se redressa.
— Je pensais, dit-il, qu’au point où se trouvent nos relations, vous ne me diriez rien d’autre que la vérité. Évidemment, vous n’avez pas l’intention de me révéler le secret de votre arme. Et bien entendu, je rejette cette explication fantaisiste.
Clane secoua la tête mais n’ajouta mot. Il avait fourni à son adversaire la seule explication dont il disposait. Il comprenait d’ailleurs le scepticisme du barbare. Il s’était heurté à son splendide réalisme. Ce n’était d’ailleurs que petit à petit qu’il avait lui-même pu concevoir l’idée que la matière et l’énergie étaient différente de ce que la perception de ses organes sensoriels lui permettait d’entrevoir. »
Cette curieuse sphère contenant l’univers n’est pas étrangère à l’hermétisme. C’est ainsi que l’historien de l’alchimie Serge Hutin rapporte à la page 45 de son Histoire de l’alchimie :
« L’alchimiste se construit une sorte de véritable modèle réduit animé de la création, avec reproduction sur ce globe en miniature du jeu même des cycles solaires, lunaires et planétaire qui régissent la Terre. L’alchimiste Canceliet nous racontait ainsi comment, une nuit, il vit se reproduire sous ses yeux, en petit, tout le déroulement de l’éclipse de lune qui se produisait dans le même temps sur la voûte céleste. »
La phase – se situant au début du Grand Œuvre et donc au début de l’opération de Solve, qui permet d’élaborer ce microcosme – fut appelée par les adeptes la mondification, ce qui se passe de commentaire. Fulcanelli décrit d’ailleurs ce stade initial avec précision :
« Quand vous percevrez dans le vaisseau un bruit analogue à celui de l’eau en ébullition, – grondement sourd de la terre dont le feu déchire les entrailles, – soyez prêt à lutter et conservez votre sang-froid. Vous remarquerez des fumées et des flammes bleues, vertes et violettes, accompagnant une série de détonations précipitées…
L’effervescence passée et le calme rétabli, vous pourrez jouir d’un magnifique spectacle. Sur une mer de feu, des îlots solides se forment, surnagent, animés de mouvements lents, prennent et quittent une infinité de vives couleurs ; leur surface se boursoufle, crève au centre et les fait ressembler à de minuscules volcans. Ils disparaissent ensuite pour laisser place à de jolies billes vertes, transparentes, qui tournent rapidement sur elles-mêmes, roulent, se heurtent et semblent se pourchasser, au milieu des flammes multicolores, des reflets irisés du bain incandescent.
Sachons prévoir l’heure où les astres formeront, dans le ciel des fixes, l’aspect le plus favorable. Car ils se reflèteront dans ce miroir divin qu’est notre pierre et y fixeront leur empreinte. »
Toujours en ses Demeures Philosophales,(idem supra p. 255) Fulcaneli donne les raisons de cette étonnantes réalisation de l’univers en miniature :
« C’est que l’alchimiste, dans son patient travail, doit être le scrupuleux imitateur de la nature, le singe de la création, suivant l’expression génine de plusieurs maîtres. Guidé par l’analogie, il réalise en petit, avec ses faibles moyens et dans un domaine restreint, ce que Dieu fit en grand dans l’univers cosmique. Ici, l’immense ; là, le minuscule. À ces deux extrémités, même pensée, même effort, volonté semblable en sa relativité. Dieu fait tout de rien : il crée. L’homme prend une parcelle de ce tout et la multiplie : il prolonge et continue. Ainsi le microcosme amplifie le macrocosme. Tel est le but, sa raison d’être ; telle nous paraît être sa véritable mission terrestre et la cause de son propre salut. En haut, Dieu ; en bas, l’homme. Entre le créateur immortel et sa créature périssable, toute la Nature crée. Cherchez : vous ne trouverez rien de plus, ni ne découvrirez rien de moins, que l’Auteur du premier effort, relié à la masse des bénéficiaires de l’exemple divin, soumis à la même volonté impérieuse d’activité constante, d’éternel labeur.
Tous les auteurs classiques sont unanimes à reconnaître que le Grand Œuvre est un abrégé, réduit aux proportions et aux possibilités humaines, de l’Ouvrage divin. » (idem supra p. 255-256)
Clane parvient à sauver la terre en agissant sur la sphère d’une manière précise afin de guérir la terre de cette peste que sont les Riss apparemment invincibles. Il va éperonner les villes ennemies avec une fine aiguille qu’il fait pénétrer dans la sphère en suivant l’opération sur un écran :
« — L’étape suivante consistera, dit Clane, à stabiliser notre aiguille-poignard. Rendez-vous comte que, lorsqu’on utilise contre une terre de la taille d’un grain de sable une aiguille dont la pointe possède un diamètre d’un dixième de millionième de millimètre, l’impact résultant prend des proportions d’une catastrophe. En conséquence, les instruments doivent être réglés minutieusement, afin que le coup porté soit d’une extrême précision ; voyez…
Sur l’écran, la cité de Denra se désintégra dans un nuage de poussière. Une partie de la montagne se trouvait entamée à une profondeur de quinze cents mètres, comme sous le coup d’un colossal marteau. »
La possibilité de cette action est précisée sans ambiguïté par l’alchimiste-médecin maudit Paracelse :
« Car le médecin est semblable à un Olympien ; c’est un médecin qui tient le Ciel dans ses mains et dont les Arcanes sont les étoiles. »
Il poursuit :
« Il est possible de faire un autre ciel à l’homme. C’est pourquoi les Arcanes sont un Ciel puissant dans la main du médecin. »
« Comprenez enfin que l’astre supérieur et l’astre inférieur sont une même chose nullement séparés. »
Ainsi, grâce à la sphère qui fait de l’alchimiste un olympien il est possible de vaincre le destin et donc les maladies en opérant des « transplantations » planétaires. C’est-à-dire en changeant une planète en une autre.
Clane plante une aiguille dans une ville ennemie (maladie) pour la détruire réalisant ainsi une « guérison » par « transplantation ».
Ne nous étonnons donc pas de ces paroles mystérieuse de Paracelse qui pourraient féconder l’imagination de bien des auteurs de science-fiction :
« J’accomplirai d’avantage après ma mort, qu’avant : Théophraste continuera à batailler sans son corps. »
Nous pourrions relever dans ses deux livres d’autre concordance avec l’alchimie, mais il semble qu’avec La faune de l’espace nous pouvons lever les doutes sur l’existence d’une école Californienne d’alchimie qui inspira Van Vogt :
On peut dire que Van Vogt n’a pas eu le destin qu’il méritait. Il convient d’insister pour dire que certaines de ses œuvres ont été pour beaucoup de lecteurs, une découverte, un plaisir et une introduction au monde extraordinaire de la science-fiction. Pour d’autres, dont nous faisons partie, ce fut aussi le début d’une aventure personnelle fantastique sur les terres mystérieuses de cette ville d’Héliopolis où tous les alchimistes résident au-delà du temps.