J’ai reçu des messages à propos de mon dernier article intitulé « Le Temple » me demandent des précisions sur cette phrase : « Passé, futur et présent coexiste, seule notre conscience se déplace ». Je vais essayer de répondre de mon mieux.
Cette phrase est capitale car elle montre que le temple, par sa structure particulière associée à une formation des hommes et des femmes qui célèbrent les offices permet de vivre dans un présent qui peut être issu du passé. Une cérémonie n’est plus alors de l’ordre de la commémoration mais de la participation. Le prêtre d’une église s’assied à la table de la Cène… et le Christ s’adresse à lui. Ce Christ n’a pas 2000 ans. Il est dans le présent.
Cette particularité permet de saisir deux choses : La première est que les maçons qui érigèrent de pareils édifices étaient des initiés non spéculatifs. La seconde est que les connaissances indispensables à l’initiation ne se sont jamais perdues, mais ne peuvent être entre les mains de ceux qui ne sont pas parvenus au stade d’éveil nécessaire. Et ceux-là, ces véritables éveillés, ne font partie d’aucun groupement initiatique. Ils portent le nom de Tchen jen (homme véritable) en Orient et de Rose-Croix en Occident.
Tout le monde peut parvenir à l’éveil ?
Oui, sans l’ombre d’un doute mais des conditions doivent être remplies. L’Orient le traduit par : « La réalité du Tao commence au non avoir. » (Hoei-nan-Tze). L’avoir en question est ici autant le désir de s’approprier, de découvrir que celui de posséder par la… pensée. Cela s’inscrit en opposition au : «Je pense dont je suis » de Descartes. En réalité c’est « je pense donc je ne suis pas » car la pensée permanente qui nous habite nous empêche d’accéder à notre véritable être. Donc, on ne saurait parvenir à la nom pensée par la pensée ! Telle est la raison pour laquelle je ne suis pas favorable aux principes de la psychanalyse qui, bien que pertinents sur le plan intellectuel, nous endorment au lieu de nous éveiller.
Évidemment, la pensée est indispensable dans notre adaptation à la vie qu’elle soit domestique ou professionnelle. Il ne s’agit donc pas de maudire la pensée et de devenir une sorte d’idiotie baveuse ! Si nous en sommes pourvus c’est qu’elle est nécessaire. La pensée non nécessaire, celle qui nous angoisse, nous fait déprimer et occupe notre tête en permanence, c’est celle-là qui est nocive et nous empêche d’être.
Comment parvenir à pratiquer un pareil glissement temporel ?
Le premier pas en ce sens est d’apprendre à accéder au silence des pensées pour s’écouter vivre et pour écouter vivre ce qui nous entoure. Progressivement cette écoute deviendra plus profonde et se transformera en véritable communion avec la puissance universelle, ou l’Esprit du monde que certains appellent Dieu, mais qui ne lui est pas étrangère… Cela s’apprend évidemment, tel était le rôle essentiel des antiques écoles de mystères et de la formation des ecclésiastiques (avant les multiples réformes des cinq siècles passés) tout au long des sept ordinations qui caractérisaient la progression vers la plénitudes du sacerdoce… On appelle cela l’initiation, dans le sens où c’est la condition initiale pour parvenir à l’éveil et accéder aux capacités de l’homme véritable dont le glissement temporel n’est qu’une des multiples facettes. L’homme est plus grand qu’on le pense à condition qu’il sache devenir rien… C’est le message des évangiles, celui de Dieu qui parle aux dieux déchus. Cela, Pascal l’avait compris en écrivant :
« L’Homme est un ange déchu qui se souvient des cieux »
Il y a donc tout un travail de réintégration, ou initiatique, à réaliser. L’initiation ne repose donc pas uniquement sur l’étude du symbole pour le symbole car dans ces conditions c’est (vous l’avez compris) une contre-initiation.
Dans le temple l’étude des symboles est nécessaire quand elle a un rôle précis. Par exemple celui de définir les grandes lois de la vie à travers la symbolique alchimique.
Par exemple, st Roch qui découvre sa cuisse et son genou. Outre que cela signifie, sur le plan phonétique, la cuisson du roc. Le roc étant ici la pierre des alchimistes, le fait de montrer le genou caractérise ceux qui sont initiés… pourquoi ?
L’initié en montrant le genou désigne plus précisément la rotule (petite roue) qui se nomme « patella » dans la terminologie anatomique. Ce nom signifie écuelle ou petit plat rond. C’est l’image ronde du soleil et de la lune indissociable celle, fondamentale, du symbole radiant de l’Esprit.
La cabale phonétique rapproche le mot « patella » de « patène ». La patène est un vase sacré rond et plat (dans les Églises orthodoxes, on l’appelle disque) généralement dorée ou même en or. Cette petite assiette plate accompagne le calice utilisé par le prêtre durant la messe tridentine ou de St Pie V (disparue depuis le concile de Vatican II). Dans cette patène le prêtre place l’hostie à l’occasion de l’offrande à Dieu de ce pain, d’où le nom d’offertoire de ce passage de l’office. La rondeur et la blancheur de l’hostie est très évocatrice de la lune. La patène dorée et circulaire est le soleil, l’hostie dans la patène élevée vers le ciel par le prêtre n’est autre que la conjonction du soleil et de la lune. Cette élévation est en réalité un appel à l’Esprit, qui est à l’origine de toutes causes, dont les deux luminaires sont dispensateurs sur notre globe. Cela est souligné par le nom du pain qui, selon l’étymologie grecque, signifie « tout » et le vin qui signifie « vie ». Le prêtre laisse tomber dans le calisse un fragment d’hostie. L’union des deux dans le calice, est donc dispensatrice de toutes vies. Telle est la raison essentielle pour laquelle une communion doit se faire non pas avec l’hostie uniquement (communion « sèche ») mais avec le vin aussi.
Nous voyons là combien cette science de la vie qu’est l’alchimie est inséparable du viatique que l’Église donne à ses fidèles lors du dernier sacrement jadis appelé extrême-onction car c’est l’onction suprême par sa puissance.
Le temple ou église va donc être bâti en fonction de ces impératifs vitaux. L’autel sera orienté vers l’Est et le prêtre, tournant le dos aux fidèles, regardera le soleil levant pour sacraliser le pain et le vin.
Se mettre face aux fidèles pour célébrer l’office comme actuellement, c’est dévitaliser l’Église tout entière, d’où le flux de chaises vides face à l’autel désacralisé car, de plus, dépourvu de reliques et donc d’autel consacré.
Les reliques n’ont rien de morbide, comme nos théologiens trop souvent dédaigneux l’affirment. Les vêtements tout comme de minuscules parties du corps d’un être sanctifié, sont un canal pour accéder à la divinité par son intermédiaire. Vouloir y distinguer autre chose marque la totale ignorance du sens profond de certains symboles, qui manifestent les courants invisibles de l’Esprit. Car c’est de l’esprit qu’il s’agit et non de la puanteur des concessions funéraires perpétuelles.
Sur l’autel, le prêtre accomplit son magistère qui reproduit le magister alchimique. Il représente le rocher d’Horeb que Moïse frappa et d’où jaillit de l’eau qui permit au peuple juif de se désaltérer.
C’est l’eau-feu qui débarrasse les métaux de leur lèpre (les purifient). Évidemment, il n’est pas question ici de cette devise maçonnique si mal comprise et qui s’adresse au bénéficiaire de la connaissance en lui demandant de purifier ses métaux… Même si cette interprétation ne manque pas d’intérêt, elle reste tout de même une déformation quelque peu abusive et finalement erronée de la réalité alchimique.
Les trois nappes qui recouvrent l’autel ne sont autres que le sel, le soufre et le mercure.
Généralement l’autel a trois marches qui ont le même symbolisme que les trois nappes de l’autel. Cependant, le pythagorisme a fortement marqué le symbolisme des marches puisque l’autel ne peut avoir qu’un nombre impair de marches soit une seule ou trois, ou encore cinq et sept. Aucun autel ne doit comporter un nombre pair de marches. De même, pour être valide la pierre d’autel (contenant les reliques) doit être gravée de cinq croix rouges (une à chaque angle et une centrale) reflet de la quintessence.
Cette particularité de numérologie sacrée est liée à la puissance accordée à l’impair, ce qui sous-entend la puissance de l’Esprit Saint qui « supporte » et « habite » l’autel.
J’achèverai sur cette citation d’Eugène Canseliet qui illustre tout ce qui précède et le synthétise :
« Ceci est indéniable, qui fait la pérennité de l’Église, que devant la pierre sacrée de son autel – celle de l’angle et des vrais bâtisseurs – le prêtre, par le saint sacrifice de la messe, rend à Dieu le même culte suprême que l’alchimiste pratique dans l’attention constante, auprès de son athanor en activité. Tous deux poursuivent la même recherche de cette grâce divine qui est indispensablement nécessaire au salut de l’homme et gratuite essentiellement ; tous deux se livrent, quoique sur des matériaux différents, à l’élaboration secrète du physique et tangible agent de rénovation spirituelle.
Combien est-ce à tort que la légende populaire veut que l’alchimie consiste uniquement dans la production artificielle de l’or métallique, quand son but principal est la découverte de la médecine universelle qui, seule, est dispensatrice du triple apanage, de la connaissance, de la santé et de la richesse ! » (in Alchimie, p 270, éditions J. J. Pauvert. 1978)
Avec toute mon amitié.