Dès les premières lignes du prologue, le sage Belenous pose les principes d’une théorie générale du monde.
« Toutes choses sont composées des quatre qualités élémentaires : le chaud, le froid, l’humide et le sec, éléments de tout ce qui existe ; c’est qualités sont combiné les unes avec les autres de telle manière que tout est emporté par un même mouvement de rotation et ne forment qu’un seul assemblage (…), un même composé sans aucune distinction ou différence, jusqu’à ce que des accidents modifient ce composé dont les parties se séparent. Des êtres diversifiés se forment alors entre eux, à raison des différentes combinaisons des qualités élémentaires qui concourent à leur formation (…). C’est là le principe fondamental de la science qui permet de connaître la cause première de la variété des êtres.»
D’où Belenous tirait-il ses connaissances ? il conte à ce sujet une belle histoire fantastique.
Il y avait dans son pays une statue d’Hermès en pierre sur laquelle on lisait :
« Si quelqu’un désire connaître Le Secret et de la Création des Êtres, qu’il regarde sous mes pieds. »
Ceux qui regardèrent n’y virent rien de spécial. Belenou par chance eut un rêve au cours duquel il comprit qu’il fallait creuser sous les pieds de la statue. il mit au jour l’entrée d’un souterrain. Y descendant avec une lampe, il découvrit assis sur un trône d’or un vieillard qui tenait à la main une tablette d’émeraude sur laquelle on lisait un titre :
« C’est ici la formation de la Nature. »
Au pied de l’homme, un livre :
Le Secret de la Création des Êtres et la Science des Causes de toute Choses.
Belenous prit le livre et la tablette pour les faire connaître à ceux qui en seraient curieux.
Nous savons maintenant le pourquoi de ce nom à première vue singulier : Table d’émeraude, et les raisons de sa concision. Écrit sur une tablette cristalline (l’émeraude en question était sans doute assez impure, ce qu’on nomme le béryl, à la belle couleur vert pale, opalescente), les préceptes résumant « la formation de la nature » ne pouvaient qu’être concis et peu nombreux.
quant au récit fantastique de Belenous, il apparaît somme toute fort classique en matière d’alchimie traditionnelle.un des plus anciens textes de l’alchimie Alexandrine est : choses physiques et choses révélées, attribué à Bolos Démocritos de Mendès du IIe siècle avant notre ère, et dont j’ai déjà parlé puisqu’il est l’auteur du plus ancien livre d’alchimie. les révélations dont il s’agit eurent lieu dans un temple. Après avoir essayé d’évoquer en songe l’ombre de son défunt maître Ostanès pour en recevoir les ultimes enseignements alchimiques, Bolos Démocritos raconte :
« Nous nous donnions un mal terrible pour trouver comment s’unissent et se mêlent les substances et les natures. Ayant travaillé à composer la Matière, le temps vint de célébrer une cérémonie dans le temple et d’y faire un repas sacré en commun. Étant dans le sanctuaire intérieur, nous entendîmes une colonne qui s’ouvrait mais nous ne fîmes d’abord rien à l’intérieur… Mais étant penchés, nous y trouvâmes cette formule précieuse : la nature qu’on sait se rassasie de la nature qu’on sait, et la nature qu’on sait l’emporte sur la nature qu’on sait, et la nature qu’on sait maîtrise la nature qu’on sait. Nous fûmes très surpris qu’il ait su résumer en si peu de mots toute sa doctrine. »
Évidemment, il s’agit de composés bien précis à mettre en œuvre, ce que connaît le sage qui vient d’en recevoir la révélation.
Que cette révélation soit mêlée à un songe, et que Belenous ait eu besoin d’un rêve pour accéder à la table d’émeraude, n’a rien non plus que de très normal. Héraclite avait dès les années 500 avant notre ère saisit toute l’importance du rêve pour l’exploration du Moi le plus profond de l’homme. Évidemment cela n’exclut nullement toute la dimension symbolique indépendante de cette exploration psychologique.
Nous devons reconnaître que cette histoire n’a rien à envier à celle qui fut mise sur pied, beaucoup plus tard, à propos d’un certain Christian Rose croix. Il est dommage que la saga de Belenous ne soit pas plus connue des alchimistes actuels. Quant à Bolos Démocritos de Mendès, il ne saurait mieux souligner l’importance de l’Office si proche d’une messe qui est bien un repas sacré pris en commun, et permettant dans cette communion d’avoir des révélations issues de la « verticalité » de l’Être.
Autre point non moins étrange est celui de la colonne qui s’ouvre pour livrer le secret alchimique. C’est de la même manière qu’auraient été découverts les écrits alchimiques de Bazille Valentin. Ce qui laisse supposer l’origine des connaissances de cet adepte. N’en doutez pas, Le Mystère des des Cathédrales est aussi celui du repas Sacré que Bolos Démocritos partageait déjà avec le Christ... au-delà des arcanes du temps. Alors, ne faisons pas semblant de ne pas voir ou se trouve l’oratoire permettant d’éviter tout individualisme, obstacle puissant à la réalisation de l’être.
Cette histoire n’est pas finie. Vous aurez la suite dans mon prochain article.